« Schöne Welt, wo bis du? ». Le titre de l’exposition présentée par la Filature de Mulhouse, « Beau monde, où es-tu? » – synthétise parfaitement l’oeuvre photographique de Manfred Willmann.
Avec près de 300 photos en noir et blanc et en couleur, l’accrochage mulhousien constitue la première grande rétrospective de ce photographe autrichien en France, en écho à sa grande exposition au musée Albertina de Vienne en 2019.
Par Dominique BANNWARTH

Les images de Manfre’d Willmann présentées à la Filature. Photo DB
Avec près de 300 photos en noir et blanc et en couleur, l’accrochage mulhousien constitue la première grande rétrospective de ce photographe autrichien en France, en écho à sa grande exposition au musée Albertina de Vienne en 2019.

Photos Manfred Willmann
Si le titre décline celui d’une série – « Die Welt est schön » – elle-même inspirée par le vers du poète allemand Schiller – « Monde riant où es-tu? » – l’exposition jette un regard multiple sur le parcours de ce pionnier de la photographie en Autriche et représentant de la Nouvelle objectivité née en Allemagne en 1925, un mouvement artistique prônant une vision et une représentation « sans fard » du monde.

Photos Manfred Willmann
A la Filature, on peut ainsi découvrir les oeuvres de Willmann qui couvrent la période allant de 1972 à 2024.
Comment qualifier la posture photographique de Willlann? « Un geste très simple dans la confrontation avec la réalité », suggère en réponse à cette question Christine Frisinghelli, compagne du photographe qui a pensé la scénographie de l’exposition avec Emmanuelle Walter, la responsable des Arts visuels de la Filature.

Photos Manfred Willmann
Ainsi, cette série sur la maison familiale où Willmann manifeste une volonté simple de « montrer le contexte dans lequel il a grandi, avec la culture visuelle qu’il a, avec le travail de ses parents, leur histoire ».

Photos Manfred Willmann
En format carré, avec des cadrages resserrés qui excluent tout hors champs et créent un espace objectif intime, un usage du flash qui fige les visages, les objets, les espaces photographiés, les images de Willmann sont directes, sans détours, sans mise en scène. Juste un point de vue « cash » sur le monde, les êtres et les objets que son regard croise et associe à sa pensée.

Photos Manfred Willmann
Quand Willmann photographie les reliefs d’un repas sur une table – à la manière des « tableaux pièges » du Suisse Daniel Spoerry, il se contente d’un état des choses immédiat.

Photos Manfred Willmann

Photos Manfred Willmann
A l’instar de prises de vues cadrant des fleurs ou des éléments trouvés dans la nature, des cadavres d’animaux. Un regard sur le réel qui capte aussi des artisans à travers un ensemble d’images restituant l’homme au travail, son ateliers, ses outils, comme s’il y avait là une manière figer une réalité en « voie de disparition ».
Avec cette exposition, la Filature rend un hommage important à ce photographe peu connu en France et offre au public une passionnante découverte.

Manfed Willmann et Chirstine Frisinghelli étaient présents lors du vernissage de l’exposition à la Filature de Mulhouse présentée par Emmanuelle Walter et Benoit André. Photo DB
L’exposition de La Filature présente du 5 avril au 1er juin 2025 les principales séries qui ont fait la notoriété de l’artiste – Schwarz und Gold, Die Welt ist schön et Das Land qui sont au centre d’un cycle sur la nature entamé il y a plus de quarante ans –, au côté de travaux qui comptent parmi les premières rares oeuvres conceptuelles en Autriche et qui dessinent « les contours d’un profond questionnement de Manfred Willmann sur le medium photographique. », insiste Emmanuelle Walter.
A propos de Manfred Willmann
Né à Graz en 1952, Manfred Willmann grandit au 36 Volkmarweg, dans le quartier de Straßgang, de parents germanophones ayant fui la Yougoslavie pendant la Seconde Guerre mondiale.
Doué pour le dessin et la peinture, il s’inscrit à quatorze ans à l’École des Arts
et Métiers d’Ortweinplatz où il choisit l’option design décoratif. Otto Brunner, qui dirige les cours en ateliers, incite le jeune étudiant à fréquenter l’association d’artistes Forum Stadtpark et la Neue Galerie, les deux institutions de la ville de Graz qui présentent des expositions d’art contemporain. Plus tard, Willmann fréquentera également l’arrière-salle du Café Schillerhof, établie comme le lieu de rencontre des artistes, architectes et intellectuels, où une galerie d’art ouvre dès 1969.
À l’issue de ses études, Willmann travaille comme peintre d’enseignes puis trouve un emploi de décorateur de vitrines chez Foto Ehmann à Graz. Il y expose régulièrement des photographies de ses amis ou ses propres oeuvres. En 1974, Willmann ouvre la Galerie photo du Schillerhof dans une salle du célèbre café, où il organise des expositions personnelles de photographes tels que Friedl Kubelka-Bondy, Christian Vogt et la première exposition de Seiichi Furuya en Autriche. En 1975, sur une proposition du programmateur musical du Forum Stadtpark, Willmann prend en charge la section photographique du lieu.
En collaboration avec Christine Frisinghelli, alors secrétaire du Forum, et le photographe Seiichi Furuya, qui s’est installé à Graz deux ans plus tôt, Manfred Willmann transforme progressivement la galerie en un lieu de rencontres et de débats incontournable pour les artistes de la scène autrichienne et internationale. Leur projet, au début principalement centré sur des expositions monographiques (Luigi Ghirri, Rudolf Lichtsteiner…), s’oriente très vite vers de grandes expositions collectives.
Dès 1977, ils conçoivent une première exposition de groupe consacrée à la photographie contemporaine américaine, qui rassemble des oeuvres de Lewis Baltz, Lee Friedlander, Ralph Gibson, Les Krims, Mary Ellen Mark, Duane Michals, Stephen Shore et Neal Slavin. Willmann, Furuya et Frisinghelli imaginent ensuite plusieurs événements dédiés à la photographie contemporaine japonaise. En 1980, le Forum Stadtpark accueille une exposition de Daido Moriyama, suivie d’une rétrospective de l’oeuvre de Shomei Tomatsu et, une dizaine d’années plus tard, d’une exposition de Nobuyoshi Araki.
Pour chacun de ces photographes influents, il s’agissait de premières expositions personnelles hors du Japon. De 1979 à 1997, parallèlement à leur activité au Forum, Willmann et Frisinghelli conçoivent un cycle de symposiums sur la photographie dans le cadre du festival d’avant-garde Steirischer Herbst, fondé en 1968, en opposition à l’émergence d’une conception conservatrice et nationaliste de la culture. Le festival, qui combine positions esthétiques et réflexion théorique, favorise le dialogue entre les arts visuels, la musique, l’art dans l’espace public, le théâtre, la performance, les nouveaux médias et la littérature. Encouragés par l’effervescence du milieu photographique et particulièrementpar le succès du premier symposium de 1979, Willmann, Furuya et Frisinghelli co-fondent en 1980 la revue trimestrielle Camera Austria. La revue est publiée en version bilingue (allemand et anglais) dès 1981. Willmann en est le rédacteur en chef et l’éditeur jusqu’en 2010.
Photographe, curateur et éditeur, Manfred Willmannest lauréat du prix culturel de la Société allemande dephotographie (DGPh) en 1994 et du grand prix d’État autrichien pour la photographie en 2009.
Ses oeuvres sont entrées dans de nombreuses collections et ont largement été exposées en Autriche et dans le monde : Museum Albertina (Vienne), Wiener Secession (Vienne), Museum der Moderne (Salzbourg), Museum Folkwang (Essen), ZKM (Karlsruhe), Musée de l’Élysée (Lausanne), Stedelijk Museum (Amsterdam), PHotoESPAÑA (Madrid), Tokyo Metropolitan Museum, Centro de la Imagem (Mexico), San Francisco Museum of Modern Art, MoMA (New York).