« Les phalènes, ce sont tout autant les voix des six personnages qui peuplent Les Vagues projetés dans l’exposition (…) que les subjectivités qui s’expriment à travers les oeuvres » explique Richard Neyroud en introduction à l’exposition qui convoque ce titre (Les Phalènes) présentée du 13 octobre 2024 au 12 janvier 2025 au CRAC Alsace, le Centre rhénan d’art contemporain, installé dans l’ancienne Lycée Jean-Jacques Henner à Altkirch.
Il faut donc parcourir et découvrir cette exposition et les propositions artistiques qui s’y déploient en papillonnant en quelque sorte de salle en salle.
Par Dominique Bannwarth
« Que ce soit à travers le prisme de la fascination des eaux, de la disparition des corps, des macaques de Gibraltar, ou d’une phalène qui s’élance dans la dureté d’une vitre, l’exposition se déploie dans les espaces du centre d’art dans un mouvement de flux et de reflux où les voix de Virginia Woolf se font entendre »
Le titre de l’exposition renvoie à l’édition posthume d’un recueil de nouvelles, La mort de la phalène de l’écrivaine anglaise, qui s’est suicidée en 1941 en se noyant dans la rivière Ouse dans le Sussex, à l’âge de 59 ans.
Une pièce présentée à Altkirch, reprend d’ailleurs le titre de « phalène » : l’installation de Io Burgard, une figure sculptée en plâtre, en sable et en verre, entre insecte et être humain, assise à côté d’une toile dans l’encadrement d’une fenêtre baignée de lumière, comme une flaque d’eau suspendue dans la couleur.
On peut aussi se noyer dans les étendues évanescentes des couleurs pastels affleurant à peine comme de subtiles apparitions surnageant sur la surface d’une eau imaginaire, dans ces grandes toiles de Luisant Gonzales Quatrini.
Se perdre encore dans les sables roses de l’évocation de la mort par noyade (comme Virginia Woolf) d’un homme victime d’une crue estivale, sujet développée par l’installation de Maude Léonard-Contant.
Les matériaux investis pour cette évocation sont ceux ingérés par le noyé : « argile rose, aiguilles d’aubépine, épis de massette, fluorine et pierre de lune d’après les cristaux ingérés par le défunt, ou encore des lettres-mollusques en céramique émaillé » .
Les vagues en acier de la Danoise Marie Raffin déferlent dans l’espace, charriant des objets de plâtre, comme des galets qui roulent sur une plage, suggérant le ressac du flot. Evocation de ces mots d’un personnage du roman Les Vagues de Virginia Woolf décrivant l’Elvedon, « royaume du flux éternel », où « les vagues se referment sur nous ».
L’Américaine Margaret Salmon laisse errer sa caméra sur le rocher de Gibraltar et filme l’interaction entre de facétieux macaques et des touristes partenaires involontaires de ce ballet animal.
Quittant l’espace en mouvement perpétuel qu’animent les animaux, le regard de l’artiste se focalise aussi sur des plans plus resserrés, moments d’intimité des uns et des autres, témoins d’un monde où cohabitent l’instant et un semblant d’éternité.
Les « peintures-planète » de l’Italien Ernesto Sartori sont simplement posées à plat sur des tables basses. La frontalité habituelle de toiles exposées sur leurs cimaises bascule à l’horizontale, créant un nouveau rapport au cadran, au motif, à la couleur. De tableau, l’oeuvre se fait stèle, surface dans laquelle plonge le regard, pris dans ce basculement du propos.
« Un jour nous retournerons tous aux étoiles » annonce le titre d’un journal grec affiché au mur de l’amphithéâtre investi par Vasilis Papageorgiou.
Fichées sur leur tige, des fleurs métalliques, balise l’espace d’un jardin imaginaire.
On retrouve cet objet floral une autre pièce, associée à une sorte de transat jaune soleil se référant, aux « Sunseekers » (littéralement les chercheurs de soleil) titre signant cette série.
Lucille Ulrich a recours à des matières « premières » au sens propre du terme : la terre, le bois, les cendres… elle invente ici un paysage hétéroclite, comme un inventaire spontané qui balaient les styles et le temps.
Une sorte d’archéologie subjective qui révèle des formes vernaculaires, libres de toute interprétation, stigmates d’un savoir-faire immédiat, sans l’intermédiaire parasite d’un quelconque discours.
Cette ultime citation de Virginia Woolf en donne une lecture évidente : « Pendant un instant tout pencha, vacilla dans l’incertitude, l’ambiguité, comme si une grande phalène traversant la chambre ombrageait de ses ailes flottantes l’immensité solide des tables et des chaises ».
Dominique Bannwarth