Une exposition consacrée à Henri Matisse constitue immanquablement un événement exceptionnel. La Fondation Beyeler à Riehen près de Bâle, nous offre une occasion inespérée de redécouvrir l’oeuvre et la vie du peintre français (1869-1954), inventeur du fauvisme, chantre de la couleur, magicien des formes. Que serait l’art moderne sans l’art de Matisse? Il a exploré tous les chemins de la peinture en ouvrant des voies nouvelles et magnifiques. L’invitation au voyage, titre d’un poème de Baudelaire, et qui donne son titre à cette remarquable exposition, se justifie plus que jamais.
Par Dominique Bannwarth
« Matisse est un caméléon artistique »
« Matisse est un caméléon artistique », suggère Sam Keller, heureux directeur de cette fondation suisse qui s’enorgueillit de pouvoir exposer des tableaux jamais présentés en Suisse et en Europe, après la rétrospective parisienne à Beaubourg de 2020 contrariée par la crise sanitaire.
70 oeuvres dont, « 14 sculptures, 11 découpages » énumère notamment Sam Keller en esquissant le contenu de l’accrochage de Riehen, « à couper le souffle », et promettant « une expérience se sensorielle envoûtante ».
« Luxe, calme et volupté »
« Luxe, calme et volupté », voilà bien le point de départ baudelairien de cette exposition, un principe qui avait déjà guidé l’architecte du lieu, Renzo Piano, dans ses échanges avec le fondateur Ernst Beyeler.
« Matisse a porté la peinture moderne à son apogée », insiste Sam Keller qui souligne « la simplification des formes, l’émancipation par rapport à la couleur, cette manière de façonner les couleurs en un accord vivant, analogue à celui d’une composition musicale ».
A la mort d’Henri Matisse en 1954, Pablo Picasso avouait « Au fond, il n’y avait que Matisse, je vais devoir peindre pour deux ».
« Matisse a porté la peinture moderne à son apogée »,
Sam KELLER , Directeur de la Fondation Beyeler
Les voyages de Matisse
Commissaire de cette exposition, Raphaël Bouvier a mis l’accent sur « le rôle des voyages dans la formation des artistes ».
De fait, l’accrochage de Beyeler, nous convie à un périple chronologique et thématique dans l’oeuvre de Matisse entre contrées et pays qui ont inspiré le peintre (le sud de la France, le Maroc, Tahiti, Etats-Unis, Italie), à la « recherche de la lumière idéale ».
Si La desserte, 1896-1807, considéré comme la première oeuvre de l’artiste, qui ouvre la première salle, est encore reliée à l’histoire de la peinture, la confrontation immédiate avec la grande toile en face de l’entrée Luxe, calme et volupté, 1904, renvoie déjà au pointillisme d’un Signac. Mais dès 1905, avec La fenêtre ouverte, Matisse nous entraine vers un au-delà annonciateur de son oeuvre à venir.
« Je sens par la couleur »
Dès cette époque, où l’inspire la poésie de Baudelaire autant que la lumière méditerranéenne, Matisse affirmera « Je sens par la couleur, c’est donc par elle que ma toile va s’organiser ».
La couleurs encore et toujours, quand de son séjour en Afrique du Nord, Matisse s’imprègne de l’art islamique. « La révélation m’est venue de l’Orient » en conclut-il alors. En écho à cette affirmation un coup d’oeil sur Les tapis rouges, 1906, permet d’en mesurer la pertinence.
D’autres impressions de voyage s’imposeront à Matisse comme les fresques de Giotto, et la peinture de la Renaissance, rencontrées lors de son voyage à Florence, Padoue,et Ravenne.
Dans cette grande toile du Saint Louis Art Museum Baigneuses à la tortue, 1907-1908, ou Le Luxe, 1907, Matisse introduit désormais dans son expression, « des formes corporelles puissantes » aussi inspirées par la sculpture africaine.
« Je sens par la couleur, c’est donc par elle que ma toile va s’organiser »
Henri MATISSE
L’atelier thème central de son univers
Si le voyage nourrit la créativité de Matisse, « l’atelier est devenu un thème central de son univers pictural », relève Raphaël Bouvier. Sa production des années 20, atteste de cette source d’inspiration récurrente, comme dans Figure décorative sur fond ornemental, 1925-1926.
Les années 30 seront marquées par un grand voyage dans les mers du sud, partant de New-York, passant par la Californie, Matisse rejoint Tahiti. Plus contemplatif que productif, Matisse se contente alors de considérer que la mer, le ciel, le lagon, le plongent « dans l’inaction d’un ravissement total ».
De cette décennie, on retiendra surtout ce Grand nu couché (nu rose) de 1935, où Matisse s’est appliqué à la réduction progressive des formes. Dans l’espace multimédia que propose en fin de parcours la Fondation Beyeler, une vidéo montre les photos successives de l’évolution de cette toile, et ses simplifications multiples voulues par l’artiste.
« Plus tard les artistes du Pop Art, Warhol, Wesselmann, y feront référence », note Raphaël Bouvier.
« Plus tard les artistes du Pop Art, Warhol, Wesselmann, y feront référence »
Raphël BOUVIER , Commissaire de l'exposition Matisse
« Dessiner avec des ciseaux »
Les premiers papiers découpés apparaissent à la fin des années 40. Les réminiscences des mers du sud ressurgissent dans ces formes d’algues que l’on identifie dans les oeuvres qui illuminent la dernière salle de l’exposition. Cette manière de « dessiner avec des ciseaux » consacre l’art de Matisse, toujours en recherche de « la quintessence de la couleur de la forme ».
Ici, c’est la dernière période d’une oeuvre qui n’a jamais cessé de se repenser, que l’exposition nous permet de retrouver, avec évidemment cette série des Nus bleus issus de la collection Beyeler.
La dernière salle introduit le visiteur dans un espace multimédia où s’affichent dans des écrans vidéo et sur une planisphère, les multiples itinéraires et destinations des voyages du peintre, un ensemble qui fait face à un mur centré sur l’artiste au travail dans ses ateliers.
Dominique BANNWARTH
Matisse – Invitation au voyage`
Exposition présentée à la Fondation Beyeler de Riehen jusqu’au 26 janvier 2025.